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DÉSILLUSION

     Tha essaie d'expliquer:
     - Je crois que la cause de cette dispute descend jusqu'à nos racines, notre culture, notre conception de la vie. À la manière de Bouddha, nous aimons rechercher le sublime, l'unique, l'absolu. Sihanouk voulait être le Père de l'Indépendance puis le Père de tout. Pol Pot éliminait jusque Hou Youn et Huy Nim pour que seules ses idées triomphent.
     - Même Son Sann a réclamé les pleins pouvoirs au sein du gouvernement de coalition tripartite. Il voulait avoir les mains libres pour parachever sa propre croisade pour libérer le peuple khmer, et effacer ainsi son remords de ne pas avoir été là entre 1970 et 1975.
     - Voilà! Maintenant t'as compris!
     Tha acquiesce et s'enquiert ensuite:
     - À propos! Y a-t-il eu écho du compromis que t'as proposé dans ton bulletin Puol Roath?
     - Écho, c'est trop dire! répond la Montréalaise avec un rire désabusé. Mais il y a des gens qui l'ont lu, c'est toujours ça de positif!

     Quelques mois après son retour de Calgary, Monty avait publié un bulletin mensuel appelé Puol Roath (Citoyen). Dans un numéro de l'année 1983, elle a fait une suggestion -laquelle fut améliorée par un lecteur dans l'édition suivante- sur une façon de partager le pouvoir au Kampuchea sans recourir à une guerre civile: la formation par les quatre factions cambodgiennes d'une Confédération khmère.
     Dans cette confédération le Cambodge serait divisé en quatre régions gouvernées respectivement par le FUNCINPEC ¹ du prince Sihanouk, le FNLPK de M. Son Sann, le parti de M. Heng Samrin et enfin celui des Khmers rouges repentis, réformés, new look. De cette façon, le quatuor khmer serait au pouvoir ensemble au même moment, mais chacun dans sa région, et montrerait séparément ses nouveaux talents à la population que chacun prétendait libérer et servir. Les quatre armées belligérantes seraient intégrées dans une Force armée nationale cambodgienne. Enfin un gouvernement central serait créé pour représenter le Kampuchea sur le plan international et ne s'occuperait que de la défense nationale, des affaires étrangères et de la monnaie. Etc.
     Après avoir reparlé un moment de cette structure étatique, Tha veut en avoir le coeur net:
     - Supposons qu'une telle confédération pouvait se faire. Ne crois-tu pas qu'il y aurait un danger d'éclatement du Cambodge en quatre pays distincts?
     - Je ne crois pas! De la frontière Est à celle de l'Ouest, du golfe du Siam aux chutes de Khôn, les Khmers sont des Khmers! Qu'ils soient de Battambang ou de Svay Rieng, de Stung Trèng ou de Kampot. C'est le même pays, la même histoire, la même langue, la même culture!
     Le Cambodgien français demande encore:
     - N'y a-t-il pas contradiction avec votre rêve, votre projet de Constitution de 1980?
      - Pas du tout! Les provinces n'avaient qu'à se regrouper en régions. Ce serait un Cambodge à quatre régions au lieu du Cambodge à vingt et une provinces! Évidemment en supposant que les quatre partis, une fois intronisés dans leur région respective, laisseraient à la population le droit d'élire les maires des villes et les chefs des srok et que ces mêmes partis... se présenteraient eux aussi devant les électeurs après quatre ou cinq ans de mandat initial!
     Tha en a pour son frais d'appel:
     - Ouais! Je crois que ce compromis peut attirer beaucoup de Cambodgiens à rentrer au pays, qu'ils soient royalistes, léninistes, maoïstes ou républicains, canadiens, australiens, français ou américains!
     - La Terre Promise des Khmers est le Kampuchea et le Kampuchea Kraum. On ne veut pas la quitter. Si on l'a quittée, on veut toujours y retourner!

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¹ Front d'union nationale pour un Cambodge indépendant, neutre, pacifique et coopératif.