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DÉSILLUSION

CHAPITRE SOIXANTE-TROIS

     Cet été 1983, Pong, qui est aussi un ami de Vira, veut rendre visite à ce dernier à Val-d'Or. Il y emmènera également Monty et Say pour les faire changer un peu d'air, un changement d'air dont ont besoin de leur côté Vira et sa famille. Ancien étudiant à l'Université de Wisconsin, un habitué des tempêtes de neige et du froid nord-américains, Vira a travaillé au Cambodge, à Montréal et à la baie James. Sa femme travaille aussi à Val-d'Or où ils possèdent une maison confortable dans un quartier résidentiel. Pour cette fin de semaine ils viendront avec leurs enfants attendre les Montréalais au Domaine, un centre de villégiature sur le bord du lac Jean-Péré, à mi-chemin entre Montréal et Val-d'Or.
     - T'as trouvé un locataire pour ta nouvelle maison à Brossard? demande Monty à Pong, au volant de sa Monte Carlo.
     - Oui! Ils emménageront la semaine prochaine. Je viens de finir de repeindre l'entresol.
     Pong, électronicien, travaille à Northern Telecom depuis qu'il est au Canada et investit maintenant dans l'immobilier. Comme Monty, il n'a jamais travaillé au Cambodge où il faisait ses études à l'Institut de technologie supérieure de l'amitié khméro-soviétique (ITSAKS).
     Le Cambodge neutre ¹ du prince Sihanouk avait reçu des aides, Sihanouk qui était devenu ami du bloc communiste par suite des tentatives d'assassinat de la CIA et des exactions commises par la Thaïlande de Sarit Thanarath et le Sud-Vietnam de Ngo Dinh Diem. Parmi ces aides: L'ITSAKS et l'Hôpital de l'amitié khméro-soviétique. L'usine de contre-plaqués de Chhlong et la cimenterie de Chakrey Ting, aides chinoises. Le barrage en terre et la centrale hydro-électrique de Kirirom, dons de la Tchécoslovaquie.
     - Vous avez beaucoup étudié le russe à l'ITSAKS? s'enquiert Say.
     - Oui! répond Pong. Mais j'en ai pas mal oublié aussi!
     - Donne-moi quelques exemples! demande Monty.
     - Ya lioubliou prépodavatiel!
     - Ça veut dire quoi?
     - Je suis amoureux de la professeure!
     - Mufle! Elle était jolie?
     - Oh, oui! Tu sais, le charme russe!
     - Tu lui as fait la cour?
     - T'es folle? Elle était célibataire, d'accord, mais elle était toujours ta professeure. Alors faut pas niaiser!

     Après quelques jours passés chez Vira, le trio reprend la route pour Métabetchouan, sur le bord du lac Saint-Jean, où vit un autre ami commun. À Chibougamau, aux trois quarts du chemin, les vacanciers s'arrêtent un moment sur la plage du lac aux Dorés qui s'étend le long d'un chemin d'accès à une mine.
     - C'est le point le plus au nord où nous avons jamais été au Québec! remarque Say.
     - Pour vous deux, oui! rectifie Pong. Moi j'ai travaillé une semaine à Natashquan!
     - Au village natal de Gilles Vigneault?
     - Oui! On était logés dans une auberge et tous nos déplacements se faisaient en hélicoptère!
     - Qu'est-ce que tu faisais là-bas?
     - On construisait une tour de télécommunications pour guider les navires dans l'estuaire du Saint-Laurent. C'était en novembre 1974. On a failli y rester, d'ailleurs, après les travaux! L'hélicoptère était rentré avant nous à Québec avec le matériel. Moi et les autres on devait attendre un avion pour Sept-Îles. On était inquiets parce que le Labrador n'était pas loin et qu'une tempête de neige était annoncée pour les heures qui venaient. Enfin l'avion, un vieux coucou de la Deuxième guerre mondiale, un DC-3, atterrissait. Les hommes montaient et, on ne savait pourquoi, s'asseyaient tous dans les sièges arrière. Quand les moteurs se mettaient à tourner, le copilote sortait de sa cabine et invitait tout le monde à s'asseoir dans les rangées d'avant. Finalement le DC-3 décolla. À temps! Le train d'atterrissage n'était pas complètement rentré quand la tempête arriva!