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Comment reconstruire
le Cambodge... et le Canada

© Copyright 1996         

FOLIE DES GRANDEURS

CHAPITRE CINQUANTE-TROIS

     Say s'admire encore une fois dans le miroir de la salle de toilettes. Il ne déteste pas l'uniforme. Il en a porté à Montréal pendant plus de quatre ans pour patrouiller tout seul, ou avec son ami Mario, ou en compagnie de quelques autres dans les édifices dont l'entreprise S. avait la charge d'assurer la sécurité. Au début ça l'intimidait un peu, le titre de garde de sécurité. Au Cambodge on appellerait cela «gardien de nuit», embauché par le propriétaire du lieu et sans uniforme. Mais puisque le gardiennage est devenu une industrie à part et une nécessité même pendant le jour... Cependant les décrets sont stricts: il ne faut pas se prendre pour un agent de la paix. Pas le droit de faire des arrestations. S'il se passe quelque chose, bien observer les faits, suivre les directives reçues, appeler selon les cas la police, les pompiers ou l'ambulance et puis faire son rapport. Simple comme tout, comme le chiffre dans le chèque de paye. Mais puisqu'il faut bien payer sa nourriture et son loyer...
     Cette fois-ci, dans la grande cité albertaine, l'uniforme est un peu différent. Say a sur sa tête un casque... d'ingénieur, portant les armoiries de la compagnie GSA. De quoi faire pâlir de jalousie sa maîtresse Monty. Elle lui a raconté la cause de son entrevue avortée: son ancienne mésaventure à la compagnie C. à Montréal. Et les corollaires: elle travaille à la cantine de U of C. Toutefois rien n'a transpiré sur sa cachette et son expérience en Nouvelle-Écosse.
     Le Khmer porte un casque de travailleur de construction parce que sa vigilance s'exerce dans des chantiers de construction. Non, non! pas dans le cadre de la Santé et sécurité du travail. Il n'y connaît rien, simple gardiennage. Aujourd'hui, un dimanche de janvier 1981, c'est le site du futur siège social du journal The Calgary Herald, un grand bâtiment érigé sur une colline surplombant Memorial Drive, non loin de son intersection avec Barlow Trail, une artère sud-nord menant à l'aéroport.
     - Alors? qu'est-ce que t'as à me montrer?
     Monty demande à Say, il lui a dit de venir voir son chantier.
     - Tout à l'heure! Auparavant ne veux-tu pas jeter un coup d'oeil de technicienne à l'ensemble du bâtiment?
     - Je veux bien! répond l'amie du garde. À condition que tu ne te fasses pas prendre et renvoyer!
     - Oh! Aucun risque! Y a plus personne à l'intérieur. Au matin quelques maçons finissaient un mur de brique, mais ils sont tous partis à midi.
     Le couple quitte la roulotte -le bureau de chantier- et se dirige vers les ossatures qui commencent seulement de sortir des fondations.
     - À quoi vont servir ces chambres enfouies dans le sol? interroge la visiteuse.
     - Ce sont des réservoirs d'encre!
     - D'encre?
     - Oui! Pour l'imprimerie, elle est incorporée à l'immeuble.
     - Ah, oui! Comme l'imprimerie de La Presse à Montréal!
     Les deux compagnons passent sous le premier plancher.
     - Oh! s'exclame l'ingénieure. Tu vois ces poutres? ces poteaux? et ces attaches?
     - Oui, et alors?
     - Si l'on était à Montréal, jamais on ne ferait des trucs pareils!
     - Explique-toi!
     - Au Québec le risque d'un tremblement de terre est assez important, alors tout doit être costaud. Ici le danger d'un séisme est nul, d'où ces choses en taille de guêpe!
     Finalement Say arrive à son objectif: une salle de toilettes sommairement terminée avant les autres compartiments et ouverte à tous les travailleurs. Le guide montre à sa compagne des graffiti comme on en trouve sur les murs de toutes les salles de toilettes du monde:
     - Tiens! Lis-moi ça!
     - Work sucks! ¹ décrypte Monty.
     - Suck works! ² réplique l'ami, lisant une autre perle. Tu vois? C'étaient deux ouvriers qui échangeaient leurs réflexions. Ils ont leur métier, leur carrière, et chacun d'eux gagne beaucoup plus que toi et moi réunis. Alors ils ont raison!
     - Ouais! Ouais! acquiesce la femme. Je lèche! Je suis en train de lécher!
     - T'aurais dû lécher dès le départ, à la compagnie C.!
     Monty, le visage pourpré, ne répond pas et tourne les talons. Say qui connaît le caractère de sa maîtresse la laisse faire. Tout finira par s'arranger entre eux deux.

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¹ Travailler c'est lécher!
² Lécher, ça marche!

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