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FOLIE DES GRANDEURS

CHAPITRE QUARANTE-TROIS

     Alerté par Monty, Mario, maintenant fiancé à Sylvie, invite Yèm Say à venir à leur appartement au troisième étage pour suivre ensemble l'émission Les lundis de Pierre Nadeau où apparaîtra le prince Sihanouk. Say a emménagé dans le même immeuble sur l'insistance de Mario, inquiet de l'état dépressif de son ami. Le Khmer a cessé de travailler et reste la plupart du temps dans sa chambre à l'entresol. Pendant ces dernières cinq années il a vécu en avare. Pas de voiture, même d'occasion. Pas de chaîne stéréo, rien qu'un téléviseur noir et blanc. Remplace son pantalon seulement s'il est complètement usé. Et met le peu d'argent qu'il gagne à côté. Toute cette austérité pour le cas où sa femme et son enfant pourraient échapper aux Khmers rouges et se joindre à lui. Maintenant qu'ils ne sont plus... Mais comme les poumons continuent de respirer et que le coeur continue de battre, Say continue quand même de bouger et grimpe l'escalier pour venir à l'appartement de Mario et de Sylvie. Un peu avant le début de l'émission Mario dit à Say:
     - Tu sais? Monty, elle est revenue à Montréal!
     - Ah, oui? répond simplement le Cambodgien.
     Sur l'écran de télévision, l'entrevue du prince Norodom Sihanouk démarre. Les trois amis écoutent avec intérêt. Quand la caméra balaye l'assistance, Say montre un point à l'arrière-plan et commente avec un certain sourire:
     - Ah! La voilà!
     C'est le premier contact entre lui et Monty après vingt mois de séparation et, surtout, après la nouvelle de la mort de sa femme et de son fils.

     "Mon ami le roi Hassan II du Maroc m'a dit de ne pas prendre de décision dramatique," commence le prince cambodgien, répondant à une question sur ses futures intentions politiques. À propos de la distribution des aides internationales dans les camps de réfugiés, le prince dénonce le détournement de vivres par les résistants anti-vietnamiens, tant les Khmers rouges que les nationalistes.
     "Êtes-vous en train de dire qu'il faut suspendre les aides?" demande l'animateur, Pierre Nadeau.
     "Ah, non! Maintenant le peuple reçoit des miettes, mais enfin il y a les miettes! Si l'on coupe les aides, il n'y aura plus de miette!" de répondre l'invité princier.