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FOLIE DES GRANDEURS

CHAPITRE TRENTE-SEPT

     P. est le propriétaire du restaurant R. où travaille la Khmère depuis un mois. C'est un Caucasien d'environ quarante-cinq ans, marié, père de famille mais possédant un vice: il fait la collection de serveuses employées dans son restaurant. Ce soir il met Shirley, une employée qui normalement travaille le jour, dans la section qui habituellement revient à Monty. Quand cette dernière arrive à son poste, le barman qui est aussi gérant-adjoint s'étonne:
     - T'es sûre que tu travailles aujourd'hui? demande-t-il à la Cambodgienne.
     Surprise qu'on lui pose pareille question, Monty répond par monosyllabe:
     - Oui!
     Elle l'avait bien vu, la veille, l'emploi du temps affiché dans le bureau. Un autre emploi du temps à la main, le gérant-adjoint emmène la serveuse au bureau où trône P. dans son fauteuil.
     - Il doit y avoir erreur à la section 8! fait remarquer le barman. Shirley est là et Monty aussi!
     P. fait semblant de vérifier les deux emplois du temps puis regarde la Khmère avec un air désintéressé et lui dit:
     - À toi de choisir! Tu peux rentrer chez toi ou rester et travailler.
     - Je veux travailler! lance l'employée, le visage pourpré, la surprise passant maintenant à l'irritation.
     Pendant qu'elle sert les clients, Monty est assaillie par toutes sortes de pensées. Elle est trop intelligente pour croire à une simple erreur. À une demi-heure de la fermeture tout le monde a disparu, même les gens de la cuisine. À part elle, il ne reste que P. et quelques clients déjà au café et au dessert. C'est clair. À l'intérieur même du restaurant, fermé, l'employeur, sourire aux lèvres, se transforme en séducteur. Les pensées furtives qui traversent l'esprit de la serveuse pendant qu'elle cède peu à peu aux avances du patron sont les suivantes:
     - elle n'a pas encore droit aux prestations-chômage,
     - elle ne veut pas courir encore une fois après les offres d'emplois,
     - elle veut punir l'autre Monty, la putain qui a abandonné son poste d'ingénieure pour se jeter dans ce restaurant. Enfin le bâtard qui l'utilise elle l'utilise aussi.