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IMMIGRANTE REÇUE

     - Ouais! acquiesce Pong. Ceux d'en face, l'Ordre nouveau, soutenaient la république et venaient à la Cité, peut-être sans invitation, avec casques, boucliers et matraques.
     - Mai 68 n'était pas loin! rappelle Norim, elle aussi ancienne étudiante à Paris et témoin des événements.
     - Ouais! continue Pong après une bonne gorgée de Labatt 50. Les gauchistes s'étaient bien amenés, formation en ligne, attendus par la ceinture Ordre nouveau. Il y avait eu quelques batailles puis quelqu'un lança une grenade offensive: bang!
     - Et t'as détalé comme un lapin! raille Than en riant.
     - Tabarnac! T'étais pas là, toi! Fallait l'avoir vu!
     - Et que faisait la police? s'étonne Sim.
     - Elle ne peut entrer dans la Cité qu'à la demande expresse du directeur général, précise Norim. À la Cité les étudiants font un peu ce qu'ils veulent.
     - Pong! le fait observer Monty. T'aurais dû rester à Lyon au lieu de monter à Paris!
     - Mes parents n'avaient plus les moyens de m'envoyer de l'argent. J'avais besoin d'une bourse et l'on en distribuait à Paris, des bourses FREE ¹.
     - Tu t'es laissé acheter, alors? pique Mom, de nature cynique et d'un penchant plutôt sihanoukiste.
     - Côline de bine! tonne Pong en frappant le tapis avec la bouteille qu'il tient dans sa main, éclaboussant presque tout le monde de mousse de bière. Et qu'est-ce que tu crois qu'ils sont en train de faire, tes amis? Ils pompent l'ambassade chinoise à Paris! Tabarnac!
     - Monty? Tu as quand même connu Paris? s'enquiert Than pour détourner un peu l'attention.
     - Oui, j'y suis allée même souvent! À chaque Nouvel An khmer et pratiquement à toutes les grandes vacances. Chaque fois je descendais chez Norim à la Maison d'Allemagne, ou comme passagère à la Maison du Cambodge.
     - C'est ça! Passagère! reprend Pong intarissable quand il s'agit de ses aventures parisiennes. Les résidents passagers, c'est ce qui a mis le feu aux poudres. Avant, il n'y avait que des étudiants. Des vrais, inscrits, ayant une bourse, ne pensant qu'à leurs études. Après le coup d'État, les riches, les ministres, les généraux envoyaient leurs enfants à la Maison du Cambodge. J'ai dit enfants. Des gamins de l'école primaire! Le directeur ne savait pas dire non. Le nombre des résidents a doublé et même triplé. La Maison est devenue un dortoir pour chômeurs et voyous et un ring de boxe pour militants des deux camps. Et vous savez quoi? Personne ou presque ne payait le loyer!
     Sur ce, Pong se verse une autre rasade de bière et choisit quelques morceaux de canard. Norim prend la relève:
     - C'est après un de ces combats de boxe, le dernier, qu'a sonné la cloche -le glas de la Maison du Cambodge. Le comité des résidents, car il y en avait un, a été tuyauté sur des caches d'armes dans les chambres des funkistes ² qui fomentaient une "libération" de cet hôtel estudiantin pour marquer une victoire symbolique. On décida alors de procéder à des fouilles en présence du directeur de la Maison. Bilan: quantité de machettes, de barres de fer, de fusils, de pistolets, même quelques... silencieux! Les rumeurs disaient qu'on a vu dans certaine chambre vingt mille dollars U.S. en quelques billets. Le directeur général de la Cité a été saisi de l'affaire et la police, devant l'évidence, embarqua les locataires soupçonnés pour interrogation. Vous savez quoi? Rassemblés derrière les paniers à salade, ils chantaient leur hymne révolutionnaire avant de monter dedans!

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¹ Fonds républicains pour les études à l'Étranger. Pendant que des étudiants pro-Lon Nol recevaient des bourses FREE, ceux pro-Sihanouk empochaient des subventions de Pékin.
² FUNK, Front uni national du Kampuchea, présidé par Norodom Sihanouk et incluant les Khmers rouges.